Je n’aurais sans doute jamais écrit si je n’avais été marqué, il y a longtemps déjà, par les stigmates de la marginalité. Il est de ces images qui marquent à jamais, laissant une cicatrice indélébile, une brèche, une fascination, qu’une vie entière ne saurait effacer. Effacer, ou raviver au contraire, car c’est à la recherche de moi-même que je m’en vais errer, ça et là, éprouvant ce qui m’est propre et ce qui ne l’est pas. Je ne saurais dire quelle fut la première fois où je me sentis vaciller devant l’étrangeté d’un Autre qui jamais ne serait moi, où les contours bien établis de ma conscience se laissèrent submerger par l’image d’une réalité qui me dépasse. Peut-être la vue d’un ruisseau, d’une rue déserte, d’un cri, d’un silence. Un jour en tout cas ai-je assisté sans voix à l’éveil de ce que d’aucuns nomment sensibilité, poésie ou conscience de soi. « Ne cours pas après la poésie, disait Bresson, elle pénètre toute seule par les jointures ». Ces jointures, l’enfant les a béantes, et c’est par flots que pénètre l’étrangeté du dehors. Découvrir qu’il y a soi, et puis le reste, que le dedans que l’on croyait totalité n’est que l’apanage du moi, et qu’au-delà il y a le reste. Ce reste qui n’est rien et presque tout. Telle est la première marginalité, l’unique, la vraie, celle qui ne se définit  qu’en parlant de soi, et qui à peine étouffée revient de plus belle. C’est cette marginalité fondamentale qui finit, parfois, par entraîner toutes les autres, honteuses, secondaires, qui se définissent cette fois à l’aune du regard des autres.





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