1. EXTÉRIEUR CAMPAGNE – FIN D’APRÈS-MIDI – TEMPS GRIS
ANTIGONE, vingt ans, peu vêtue, pieds nus, à quatre pattes, les mains pleines de terre, les cheveux emmêlés.
Elle caresse l’herbe de ses mains, en osmose avec la nature. Puis elle gratte dans la terre et y trouve un ver de terre.
Antigone (enfantine)
Toi tu es gentil ! Tu es beau et visqueux…
Elle l’embrasse, et joue quelques temps avec lui, souriant, comme une enfant.
Elle s’arrête, le regarde.
Antigone
Pourtant tu vas mourir. C’est la vie… Vilain ver de terre ! Je t’aimais bien…
Elle l’avale et le mastique un bon moment. Elle s’essuie la bouche avec sa manche. Elle se lève et se met à marcher nonchalamment parmi les champs, chantonnant à mi-voix :
Antigone
On dit que deux et deux font quatre, moi je ne le crois pas. On dit que le vent souffle tout le temps, moi je ne le sens pas. Antigone, Antigone, je t’en prie ne pleure pas… Tout est beau et laid ici-bas…
Il se met à pleuvoir.
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2. INTÉRIEUR CUISINE – SOIR
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L’intérieur d’une cuisine vétuste. Une vieille femme aux mains calleuses réchauffe une casserole de soupe d’où émane de la fumée. Antigone entre.
Antigone
Grand-mère, grand-mère, qu’est-ce que ça sent bon !
Elle l’enlace et l’embrasse sur le front.
La grand-mère (inquiète)
Ma petite fille ! D’où viens-tu ? Tu es trempée !
Antigone (exaltée)
J’ai vu un verre de terre ! Il était si mignon ! Il s’appelait Barnabé, comme papy. C’est dommage qu’il soit mort, je l’aimais tellement… Il était tout lisse et tout doux, comme un zizi!
La grand-mère
Tu ne devrais pas te promener toute seule dans les bois, si peu vêtue en plus…
Antigone (continuant)
Et l’herbe était douce et piquante grand-mère, j’aurais dû la manger aussi, c’était si beau tu comprends…
La grand-mère
(séchant Antigone à l’aide d’une serviette)
Allons, allons! Mange un peu de soupe plutôt, je l’ai faite pour toi. Ça va te réchauffer…
Antigone s’assied par terre, prend dans ses bras le chat qui vient d’entrer dans la cuisine, et mange le bol de soupe préparé par sa grand-mère.
La grand-mère
Ne t’assieds pas par terre, voyons ! Tu sais bien que ton oncle n’aime pas ça…
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3. EXT. CAMPAGNE – JOUR – NUAGES ET ÉCLAIRCIES
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Antigone et PIERROT, un petit garçon de six ans, s’affairent au milieu de cinq poules grises, identiques.
Pierrot
Antigone, Antigone, elles ont quel âge, tu crois, ces poules ?
Antigone en attrape une et regarde l’une de ses pattes, l’air savante.
Antigone
Mmmm… Trente ans!
Pierrot
Waw ! Comment tu sais ?
Antigone
Il faut regarder leurs pattes. Le nombre d’anneaux qu’il y a sur leurs pattes, c’est le nombre d’années qu’elles ont vécues !
Un temps.
(rêveuse)
Plus tard, j’élèverai des poules, plein de poules ! Je mangerai leurs œufs, et on se baladera ! Tous ensemble ! Les poules, moi, et même toi, petit Pierrot ! Et cet Hémon, jamais je ne vivrai avec lui, jamais, tu m’entends Pierrot ! Juste les poules et moi, et même toi…
L’oncle d’Antigone (off, criant)
Julie ! Julie !
Pierrot s’enfuit, ainsi que les poules. Lumière grise, solennelle. L’ONCLE s’approche d’Antigone.
L’oncle (sévère)
Julie, je te croyais en train de te préparer !
Un temps. Continuant à marcher vers Antigone, tandis que celle-ci s’est assise en tailleur.
L’oncle (accablé)
Ma pauvre Julie ! Que va-t-on bien pouvoir faire de toi ? Sauvage et mal peignée…
Un temps.
Sophocle est mort il y a plus de vingt siècles ! Même ce cher Anouilh nous a quitté il y a plus de vingt ans déjà. Tu te trompes d’époque malheureuse ! Les pires assassins reposent tous sous une stèle de nos jours. Contre quoi vas-tu donc t’insurger? Ce monde-là n’existe plus voyons… Le béton grignote chaque jour un peu plus les bandes de terre que tu affectionnes…
On passe d’Antigone et son père à un plan plus large, révélant que la prairie n’est qu’un parc encerclé de hauts murs de pierre. Vue plus éloignée encore.
L’oncle (off)
Il faut vivre avec son temps ma chérie !